par Anissa Bouihed, responsable du pôle culturel

Des représentants du pôle culturel de Fessenheim et du MAUSA de Neuf-Brisach ont accueilli virtuellement Guy Denning, artiste britannique connu pour son art urbain. Né à Bristol, autodidacte, il vit en Bretagne depuis 2007. Avant de lui faire visiter le musée par caméra interposée, nous nous sommes entretenus avec lui.

 AB : Quel a été votre réaction lorsqu’on vous a proposé ce projet ?

GD : – Je me soucie toujours du fait de travailler pour une ville et d’être choisi plutôt que des artistes locaux. Cependant, quand je vois qu’il y a un lien spécifique entre les combats de Victor Schœlcher et les miens contre le racisme, qu’il y a une vraie raison pour avoir fait appel à moi, cela fait sens. C’est un honneur d’être invité pour une raison que je considère valable. Plus j’en apprends sur Victor Schœlcher, comme le fait que c’était aussi un passionné d’art et un collectionneur, et que je découvre des connexions avec mon travail, plus grand est le plaisir de répondre à cette invitation et j’espère que le résultat plaira à vos habitants.

– Aviez-vous déjà entendu parler de Victor Schœlcher avant ce projet ?

– Non, jamais auparavant. Ce n’est que lorsque vous vous rendez dans un autre pays que le vôtre que vous réalisez à quel point vos références culturelles et historiques sont locales. Il y a des grands noms du monde de l’art en Grande-Bretagne qui ne disent rien aux gens du monde de l’art en France. Est-ce un problème lié aux médias ou au système éducatif ? Peut-être un peu des deux. Je connais les personnes du monde anglophone qui ont suivi le même programme politique que Schœlcher. Quand on y pense, même si nous disposons de cette technologie fantastique qui fait tomber toutes ces barrières, nous sommes toujours enfermés dans ces bulles historiques nationales. Je pense que c’est en train de changer, mais c’est un processus plus lent que nous le souhaiterions.

Schœlcher était un homme intéressant mais je n’ai pas découvert grand-chose sur lui en raison de la barrière linguistique, mais aussi de la nature de son action historique et politique. L’abolition de l’esclavage implique de reconnaître l’existence de l’esclavage. Ce n’est pas quelque chose que l’on commémore à tout va, car cela suppose de reconnaître l’énorme erreur qui l’a précédée. Les réparations financières qui ont été payées par le Royaume-Uni aux riches propriétaires terriens et esclavagistes qui ont « souffert » parce qu’ils ne pouvaient plus utiliser de main-d’œuvre esclave, n’ont fini d’être remboursées que sous le mandat de Teresa May (ndlr, Première ministre du Royaume-Uni de 2016 à 2019). Combien d’argent ont-ils reçu ? Cela n’est jamais mentionné dans la reconnaissance britannique de l’esclavage. Je ne pense pas que ce soit une position typiquement britannique mais occidentale. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est difficile de trouver des informations sur lui, il sera donc très intéressant de venir chez vous pour en apprendre plus.

– Comme Schœlcher qui a subi l’exil, vous avez quitté votre pays d’origine : pour quelles raisons ?

– Nous nous sommes installés en France avec ma femme car nous sommes francophiles. Nous aimons la culture, l’histoire politique de la France. Aussi, l’attitude des gens est différente. La division en Grande-Bretagne s’aggrave actuellement. On regrette de ne pas être venus assez tôt pour que nos enfants grandissent ici. Il y a des questions qui se rapportent spécifiquement aux problèmes de race, auxquels nous étions sensibles en tant que personnes de gauche, anarchistes, socialistes, syndicalistes… Nous avons beaucoup de casquettes ! Ces problèmes de discrimination flagrante, ce n’est même plus du racisme, ça tend maintenant vers un fascisme naissant et c’est vraiment effrayant. Cela montre que l’extrême a toujours été là, qu’il a simplement été en sourdine et qu’il était devenu démodé pour les gens de déclarer certaines choses qu’ils déclarent volontiers aujourd’hui.

Une autre chose contre laquelle nous avons toujours fait campagne c’est le problème de l’influence des médias sur la politique. J’ai regardé la récente interview du Prince Harry et de sa femme et les ai entendus parler de la relation entre l’establishment britannique et les médias de droite. J’ai aussi regardé où certains de ces journaux se sont positionnés politiquement au cours du siècle dernier et cela renforce le sentiment que nous avons eu raison de venir ici. Parfois, on a l’impression qu’on s’est enfuis et qu’on aurait dû rester là-bas pour se battre, mais c’est la première fois que nous avons été égoïstes et c’est la meilleure chose que nous ayons jamais faite.

J’ai aussi découvert l’importance de l’art visuel en France. Il y a des choses que vous prenez pour acquises, comme aller dans un supermarché et y trouver six différents magazines sur l’art. Chose impossible en Grande-Bretagne. Ici, l’art fait partie de la culture.

Albrecht Durer, a eu le même sentiment quand il a quitté l’Allemagne pour l’Italie. D’un pays protestant, il est allé dans un pays catholique et il a déclaré : « Quand je leur dis que je suis un artiste, ils me traitent comme un gentleman. Chez moi, ils me traitaient comme un parasite. » Pareillement, l’art n’est pas valorisé au Royaume-Uni comme il l’est en France, c’était donc une autre raison d’aimer cet endroit.

– Vous considérez vous comme un artiste engagé ?

– Oui, je suppose. Je suis un artiste, je suis une personne engagée. Mais le fait d’exister dans un système social, signifie que vous êtes engagé. Si vous ne faites rien de politique, que vous avez décidé de ne pas vous impliquer, c’est aussi une position politique. Donc je pense que tout le monde l’est, qu’il le veuille ou non.